A propos des Yachts du Coeur et de la solidarité en mer comme à terre. Origine.

Solidarité en mer : “Nous sommes tous embarqués sur le même navire. La terre !”

La source des Yachts du Coeur que l’association Ecomer organise depuis 2010, prend son inspiration dans ce magnifique texte de l’ Aumônier des Gens de mer du Pays Basque, et du simple constat qu’ avant les Yachts du Coeur, les ports de La Ciotat à Menton étaient un désert de solidarité organisée :

La Solidarité en Mer contre Vents et Marées – de Mikel Epalza. Le texte fondateur des Yachts du Coeur .

  • En mer, il y a comme un sixième sens naturel à tous les marins du monde qui savent qu’on ne peut se sauver seul mais ensemble. La solidarité se vit comme un devoir naturel. Le navire, que ce soit un gros cargo ou un petit navire de pêche, est un monde clos mais ouvert au monde entier. Il peut devenir une prison  infernale et aussi une maison ou une entreprise flottante où se vit la fraternité.

La Mission de la Mer, ou l’Apostolat de la Mer, ne peut se vivre que greffée à cette solidarité. Il est impossible de témoigner de Jésus Christ en ayant les pieds bien au chaud à terre !!! La Mission de la Mer suit les traces du Christ qui a embarqué, qui s’est risqué en mer et qui invite à aller au large, à se frotter aux problèmes quotidiens des marins. Il faudra alors ressentir l’angoisse des veuves des marins, les aspirations des femmes des marins, les souffrances des professionnels de la pêche qui ont du mal à équilibrer le budget car il faut adapter la ressource marine de plus en plus rare à la rentabilité du navire, au gagne pain quotidien, avec le prix du gasoil qui grimpe à la folie, avec un marché qui dépend des importations de poissons qui viennent du monde entier. A titre d’exemple, le plus grand port du Pays Basque est en réalité l’aéroport de Vitoria–Gasteiz, où sont débarqués plus de 16 mille tonnes de merlu à des prix bien plus bas que les criées locales.

Vivre la Mission de la Mer, c’est être dans ce coude à coude, en essayant de comprendre la réalité complexe, en donnant priorité à la rencontre, à la famille, à la personne et aux valeurs de partage, de dignité, de dialogue. Un jeune patron pêcheur de Cherbourg tombé à l’eau en plein hiver et en pleine nuit, sauvé par miracle, exige que les gars de l’équipage porte un gilet de sauvetage pendant les manœuvres de travail sur le pont. En Juin 2006, pratiquement tous les équipages des bateaux du quartier maritime de Bayonne ont pris part à l’élan de solidarité en faveur de la famille de Roger, marin pêcheur camerounais disparu en mer.

La mission c’est aussi prendre sa part de responsabilité pour faire germer des initiatives porteuses d’espérance avec les gens de mer, des initiatives qui ressemblent à la pêche miraculeuse, c’est-à-dire la responsabilité et le partage ; ou qui ressemblent à la tempête apaisée, c’est-à-dire le combat pour la sécurité, pour que l’équipage revienne sain et sauf. Je cite quelques initiatives locales : une revue pour que les jeunes pêcheurs puissent prendre la parole, une opération “déchets à quai” pour que les pêcheurs deviennent des acteurs d’un mer propre. Depuis dix ans, on leur distribue des poches poubelles pour qu’ils ramènent à terre leur poubelle et les déchets relevés dans les filets. Autre initiative de la mission de la Mer : avec les femmes des ports de Galice, Andalousie, Pays Basque, Gironde, Charente Maritime, Vendée, Loire Atlantique et même au-delà, la Mission de la Mer a suscité et organisé des temps très forts de rencontres internationales et d’actions communes qui ont abouti à l’éclosion d’associations de femmes de marins, à la mise en place de stages de formation pour elles et aussi à une requête auprès des hautes instances européennes pour que les droits de la famille du marin soient respectés notamment en appliquant les temps de repos à bord et à terre.

Autre initiative importante de la Mission de la mer c’est de travailler en partenariat avec d’autres associations et organismes maritimes  en faveur de l’accueil des marins du monde entier dans les ports de commerce. Dans le monde des milliers de marins reçoivent un sourire, un accueil fraternel de la part de volontaires ou de bénévoles œuvrant dans tous les Stella Maris ou Centre d’accueil des Marins (il y en a 14 en France).

C’est capital dans une économie mondialisée de sauver avant tout l’humain, de se soucier des hommes de la mer et non seulement des infrastructures, des grues, des chiffres, des tonnages débarqués… A Bayonne nous accueillons des marins de 48 nationalités  différentes ; certains d’entre eux sont exploités ! Dans ces foyers tout marin en escale trouve sa propre maison ; on ne lui demande ni la religion, ni la nationalité : tout marin est un frère. De là démarrent parfois des mobilisations capitales. En Juin 2006, le Foyer Escale Adour de Bayonne a reçu la plainte de marins ukrainiens embarqués sur un cargo sous pavillon de complaisance (des navires qui achètent des pavillons pour ne pas payer d’impôts dans leur 2 pays, ne pas appliquer la législation du travail, rentabiliser au maximum etc…). Celui qui nous concerne a le pavillon panaméen et l’armement (propriété) italien : l’équipage constitué de marins ukrainiens n’avait presque plus rien à manger et n’avait pas été payé depuis plus de trois mois. Nous avons fait appel au Syndicat international du Transport, ITF pour débloquer la situation : les marins ont obtenu satisfaction.

Toutes ces histoires sont de réelles pages d’Evangile. “J’étais étranger et tu m’as accueilli, j’étais en prison et tu m’as visité ; j’avais faim et tu m’as nourri ! “. La Mission de la Mer se réunit au niveau local, régional, national, européen, mondial pour s’ajuster à la fois au souffle évangélique et aux réalités maritimes. L’Esprit est à l’œuvre en pleine mer quand des marins s’organisent pour faire germer la justice, pour s’entraider pour prier aussi parfois. A bord des canots de sauvetage de la SNSM, des centaines de bénévoles risquent leur vie dans l’anonymat pour sauver celle des autres.

L’Esprit est aussi à l’œuvre à terre dans ces chaînes d’amitié et de solidarité. A Bayonne, tous les navires en escale laissent 18 euros par escale au nom du “Wellfare Seamen” (du bien être des marins). Grâce à cela nous arrivons à payer un permanent. A l’avenir, il y aura une législation internationale  régulant les contrats de travail en mer. Ce sera une énorme avancée internationale. La France vient de ratifier la convention de Genève stipulant que tout marin en escale mérite attention et accueil. Dans ces luttes juridiques souffle aussi l’Esprit du Ressuscité.

Les marins rappellent à tous les habitants de la planète que nous sommes tous embarqués sur le même navire : “la terre”, et que la mer fait partie intégrale de la terre. La mer est le reflet de la terre, le miroir du libéralisme économique, des esclavages modernes et aussi le miroir de la solidarité internationale.

Les chrétiens utilisent l’image de la barque pour représenter l’Eglise en marche, contre vents et marées. L’Eglise des marins avance grâce aux personnes qui vivent l’Evangile de la solidarité au quotidien. Oui, j’en témoigne depuis 21 ans que je vis proche des marins comme aumônier et aussi comme matelot pêcheur embarqué, Jésus Christ a les pieds en mer et il ne cesse d’offrir son amitié aux gens de mer. Il nous dit “allez au large !!! ” C’est là qu’il se laisse découvrir.

Il en est de même du peuple des roulottes, des caravanes, des camions, des avions. Partout où les gens circulent, vont à la rencontre les uns des autres, il se passe des choses importantes, il y a de superbes pages d’Evangile qui sont vécues en attente d’être révélées et écrites par les apôtres d’aujourd’hui.

Ensemble écrivons chacun dans sa langue, dans sa culture, dans son secteur économique et dans sa foi, de nouvelles pages de solidarité, d’amour. Partageons les et créons un monde fait pour tous les hommes.

Aumônier des Gens de mer du Pays Basque,